Hinkley Point : Pourquoi ce “nucléaire heureux” des Britanniques ?
La Grande-Bretagne relance son nucléaire, quand l’Allemagne le quitte et quand la France a une sorte de « nucléaire honteux »…. Pourquoi ces approches différentes ? Le 21 octobre, le Royaume-Uni annonçait la signature d’un accord avec EDF, AREVA, et deux électriciens chinois, pour la construction, sur le site de Hinkley Point, de deux EPR, réacteurs nucléaires de toute dernière génération. Le Premier ministre David Cameron parlait d’un « très grand jour pour la Grande Bretagne ».
Un éditorialiste français faisait alors la remarque que les Britanniques avaient « le nucléaire heureux », par contraste avec les Français qui auraient le « nucléaire honteux ».
On pourrait ajouter : par contraste aussi avec le reste de l’Europe qui a aujourd’hui « le marché de l’électricité malheureux ». Car une semaine avant, dix énergéticiens avaient dénoncé à Bruxelles le bilan inquiétant des politiques énergétiques actuelles : factures d’électricité en hausse, émissions de CO2 en augmentation, et même, avec la fermeture de nombreuses centrales à gaz, un risque de black-out pour cet hiver.
Quelle est la recette des Britanniques pour un « nucléaire heureux » ?
Pas d’opposition entre nucléaire et renouvelables
Premier ingrédient, les Britanniques n’opposent pas les renouvelables au nucléaire, bien au contraire. Comme d’autres, ils sont en pleine transition énergétique. Historiquement marqué par ses mines de charbon, puis par son exploitation du pétrole et du gaz naturel en mer du Nord, le pays est devenu, depuis quelques années, importateur net de gaz. Il s’agit donc pour les Britanniques à la fois de sortir du charbon, de réduire leurs émissions de CO2 (au total, la part actuelle des énergies fossiles dans le mix électrique est de 70 %), et aussi de diminuer leur dépendance au gaz d’importation. Pour atteindre ces objectifs, ils ont choisi de faire des investissements massifs à la fois dans l’éolien et dans l’énergie nucléaire. Ainsi, le pays est devenu en quelques années le troisième producteur d’électricité éolienne d’Europe, et accueille la moitié de la base installée européenne d’éolien off-shore.
En complément de l’éolien, ils ont aussi choisi de favoriser des investissements massifs dans le nucléaire. Les deux réacteurs de Hinkley Point doivent assurer à eux seuls 7 % des besoins en électricité du pays et permettront d’économiser, par rapport à des centrales à charbon, les rejets de 20 millions de tonnes de CO2 chaque année. Quatre autres réacteurs devraient suivre rapidement. Il est intéressant de comparer ce projet énergétique avec celui de l’Allemagne : celle-ci a aussi décidé d’investir massivement dans les renouvelables, mais en abandonnant le nucléaire. Le résultat de cette stratégie commence à se faire sentir, et se traduit par un recours accru au charbon, et une hausse des émissions de CO2.
Visibilité pour les investissements
Second ingrédient : les Britanniques ont mis en place des dispositifs pour attirer les investisseurs, et leur donner une vue à long-terme. Les quatre sociétés vont investir au total 19 milliards d’euros, avec une visibilité sur 35 ans. Cela tranche avec la situation qui prévaut aujourd’hui en Europe, et que résumait ainsi un des énergéticiens présents à Bruxelles : « Il faut retrouver une visibilité à long-terme. Sans cela, il n’y pas d’investissement possible. »
Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à compter sur le nucléaire pour son approvisionnement énergétique, et la réduction de ses émissions de CO2. En Europe, il est le 3e pays, après la France et la Finlande à investir dans le nucléaire de 3ème génération. Dans le monde, 64 nouveaux réacteurs sont actuellement en construction, nombre d’entre eux en Asie. Aux Etats-Unis, malgré la concurrence du gaz de schiste, quatre réacteurs sont en construction. En Europe, la Pologne, la République Tchèque, la Suède et de nouveau la Finlande devraient suivre.
Des emplois pour la France
Et la France, est-il vrai qu’elle aurait le « nucléaire honteux » ? En tous cas, la décision britannique va faire incontestablement de nombreux heureux dans le nucléaire français ! Car même si la construction des deux EPR créera de nombreux emplois au Royaume-Uni, une grosse part de l’ingénierie sera faite par les équipes françaises d’EDF.
De plus, c’est en France qu’AREVA fabriquera les gros composants de l’EPR, principalement dans ses usines de Bourgogne, ainsi que le combustible des nouvelles centrales. Enfin de nombreuses autres entreprises françaises, PME et ETI, participeront au projet. Il est encore trop tôt pour évaluer avec précision le nombre d’emplois créés en France, mais il se montera de toute évidence à plusieurs milliers, selon une étude récente de PWC. Enfin, deux EPR de plus, c’est excellent pour l’image de l’ensemble de la filière nucléaire française. Pour des lendemains heureux à l’export ?
Tribune publiée sur la Chaîne Energie de l’Expansion