Alerte de l’AIE, rebond électrique et croissance des fossiles
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié en juin 2021 son deuxième rapport sur le marché de l’électricité. Alors que les économies redémarrent, l’AIE prévoit une forte augmentation de la demande en électricité ainsi qu’un recours plus important aux énergies fossiles. En effet, l’augmentation de la demande sera assurée à près de 50 % par les énergies fossiles, alerte l’AIE.
Après un premier rapport publié en décembre 2020 revenant sur une année particulière du fait de la pandémie, l’AIE publie un second rapport dans un contexte de reprise économique. Celle-ci se traduit par une augmentation de la demande en électricité, de 5 % en 2021 et de 4 % en 2022 après une légère baisse de 1 % en 2020. Cette hausse de la demande s’accompagne d’ores et déjà d’un recours plus important aux énergies fossiles et met en péril le respect des engagement climatiques. Une tendance inquiétante à l’ère de l’électrification des usages et de la réindustrialisation. L’AIE rappelle que 70 % des émissions totales de CO2 proviennent de pays dont les gouvernements visent la neutralité carbone, d’ici à 2050 pour la plupart.
Une croissance teintée de charbon
Cette demande supplémentaire d’électricité sera assumée par des moyens de production fossiles pour moitié (45% en 2021, 40% en 2022) et en particulier du charbon. En effet, après une baisse de 4,6 % en 2020, la production des centrales à charbon serait à la hausse dès cette année avec + 5% en 2021 et + 3 % en 2022. L’AIE souligne même que la production pourrait atteindre un record historique. La production des centrales à gaz est aussi à la hausse avec des prévisions de + 1 % en 2021 et + 2 % en 2022. Cette augmentation plus faible s’explique, selon l’AIE, par sa moindre importance dans les économies asiatiques en forte croissance et par la forte concurrence des énergies renouvelables en Europe et aux États-Unis. Pour rappel, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que le bilan médian gaz à effet de serre du kWh nucléaire (12 g eqCO2) est comparable à celui du kWh éolien (11 g eqCO2), inférieur à celui du kWh photovoltaïque (41 g eqCO2), et très largement inférieur à celui du kWh gaz (490 g eqCO2) et du kWh charbon (820 g eqCO2)[1].
Cette hausse de la demande d’électricité est notamment portée par les deux géants asiatiques, la Chine et l’Inde, qui ont fortement recours au charbon, respectivement environ 70 % et 80 % de leur production électrique. Alors que la demande européenne, après une baisse de près de 10 % début 2020, reste légèrement inférieure à 2019 depuis le dernier trimestre 2020, la demande chinoise et indienne affiche une hausse de 10 à 15 %. La situation sanitaire en Inde a cependant fait chuter la demande électrique en avril 2021.
Nucléaire et renouvelables pour lutter contre la hausse des émissions de CO2
Après une baisse de 1 % en 2019 et de 3,5 % en 2020, les émissions de CO2 du secteur électrique seraient donc en hausse à hauteur de 3,5 % en 2021 et de 2,5 % en 2022, ce qui là encore « serait un pic historique », alerte l’AIE qui souligne que malgré la forte croissance des énergies renouvelables celles-ci ne peuvent répondre à la totalité de l’augmentation de la demande notamment à cause de leur intermittence comme mentionné : « En Chine, la production électrique des énergies renouvelables varie fortement selon la saison avec une augmentation de la production, généralement l’été, durant la saison des pluies au sud du pays ». Le schéma 2 montre l’augmentation de la production des centrales à charbon en lors de la baisse de celle des renouvelables et inversement. Les courbes témoignent à la fois de l’importance du développement des énergies renouvelables et de ses limites lorsque celles-ci s’adossent à une base pilotable fossile de plus en plus importante.
On observe également une légère hausse de l’intensité carbone en Europe notamment en Allemagne (schéma 3). Après une baisse moyenne de 9 % des émissions de CO2 entre 2017 et 2020 une hausse de 1 % est attendue sur le Vieux Continent en 2021, la première fois depuis 2011. La France avec son mix électrique, nucléaire et renouvelables, décarboné a plus de 90 % maintient une intensité carbone beaucoup plus faible que ses voisins allemands et espagnols qui misent sur les renouvelables et les énergies fossiles au détriment du nucléaire.
Les nouvelles capacités nucléaires ne pourront pas non plus absorber cette augmentation puisque la hausse de la production attendue n’est que de 1 % en 2021 et 2 % en 2022. Insuffisant pour l’AIE qui dans ses scénarios de neutralité carbone en 2050 jugeait nécessaire l’augmentation d’un quart de la production nucléaire d’ici à 2030 et un doublement d’ici à 2050, en plus d’un rythme[2] de construction des renouvelables jamais atteint jusqu’ici[3]. La légère hausse de la production nucléaire est principalement du fait de la Chine qui a ajouté 40 GW de nucléaire ces dix dernières années. Aujourd’hui, 54 réacteurs sont en construction pour un total de 58 GW dont 17 GW en Chine, 5 GW en Corée, 4 GW en Inde et 4 GW aux Emirats Arabes Unis dont le premier réacteur a été mis en service fin mai 2021[4].
Dans sa note technique de juin 2020, la Sfen recommande le lancement d’un programme de construction de trois paires de réacteurs afin que la France soit en phase avec ses objectifs climatiques et l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne afin d’assurer le maintien d’un socle à la fois pilotable et bas carbone[5].
[1] Pour en savoir plus, retrouvez la note technique de la Sfen : Urgence climatique, peut-on se passer de l’énergie nucléaire ?
[2] Notamment de 600 GW de capacité solaire PV par an en moyenne et 340 GW de capacité éolienne par an, remplacements compris, entre 2030 et 2050.
[3] https://www.sfen.org/rgn/presente-nouvelle-trajectoire-mondiale-neutralite-carbone
[4] https://www.sfen.org/rgn/emirats-arabes-unis-construction-serie-barakah
[5] https://www.sfen.org/note-technique/peut-on-prendre-le-risque-de-ne-pas-renouveler-le-parc-nucleaire-francais/