Canicule et sécheresse 2022 : pas d'impacts environnementaux liés aux dérogations sur les rejets thermiques, selon l'ASN - Sfen

Canicule et sécheresse 2022 : pas d’impacts environnementaux liés aux dérogations sur les rejets thermiques, selon l’ASN

Publié le 4 juillet 2023 - Mis à jour le 5 juillet 2023

Le 27 juin dernier, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) tirait les conclusions du retour d’expérience des décisions prises pendant l’été 2022 modifiant temporairement les conditions de rejets thermiques de quatre centrales nucléaires en France. Globalement, le bilan montre une incidence nulle, à tout le moins non établie, des centrales sur l’environnement.

Les conditions d’exploitation d’une centrale sont propres à chaque installation et sont encadrées par des décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). En cas de situation exceptionnelle et de nécessité publique (par exemple pour maintenir l’équilibre du réseau, mission assurée par RTE), l’ASN peut modifier temporairement les limites de rejets thermiques. C’est ce qui s’est passé au cours de l’été 2022 pour quatre centrales : le Bugey, Tricastin, Saint-Alban et Golfech. Ces modifications temporaires de limites des rejets restent soumises aux inspections du gendarme du nucléaire, qui a exigé une surveillance renforcée des écosystèmes.

L’ASN a tiré un bilan des résultats et analyses menées par EDF. Résultat global : « pas d’écart par rapport aux dispositions prescrites ». Ces conclusions sont importantes alors que l’été 2023 qui s’annonce exceptionnellement chaud pourrait de nouveau conduire RTE a demandé à l’ASN d’octroyer de nouvelles dérogations de fonctionnement.

Impact des centrales sur les cours d’eau

Pour refroidir l’eau du circuit secondaire de ses réacteurs, une centrale prélève de l’eau depuis un cours d’eau ou depuis la mer. On distingue deux modes de fonctionnement : les circuits ouverts et les circuits fermés.

Dans le cas d’un circuit fermé, une partie de l’énergie thermique est évacuée via des tours aéroréfrigérantes dans l’atmosphère sous forme de gouttelettes d’eau en équilibre avec de la vapeur – c’est le panache blanc. L’autre partie est évacuée via l’eau restituée au cours d’eau (de l’ordre de 20 % de l’eau prélevée) ; « cela conduit à un échauffement de l’ordre de quelques dixièmes de degrés du milieu naturel en aval de la centrale », affirme l’ASN.

Dans le cas d’un circuit ouvert, l’eau prélevée est entièrement restituée au milieu naturel (de l’ordre de 99 %). Ainsi l’énergie thermique prélevée au circuit secondaire est entièrement restituée au cours d’eau ; « cela conduit à un échauffement de quelques degrés du milieu naturel en aval de la centrale », explique l’Autorité.

Les conditions des rejets thermiques sont encadrées par des décisions de l’ASN

En période de canicule et de sécheresse, la dilution thermique des eaux de rejet est contrainte par l’élévation de température des cours d’eau en amont et par une diminution de leur débit. Deux paramètres dessinent les plages limites de fonctionnement pour la réglementation environnementale[1] encadrant l’exploitation des centrales en France : la thermie des cours d’eau et leur débit.

Figure 1 : Modifications temporaires au cours de l’été 2022 (source : ASN)

Pas d’incidences physico-chimiques

Dans le cadre de la surveillance renforcée[2]. EDF a publié une première partie du bilan de cette surveillance renforcée à l’automne 2022. L’exploitant concluait : « la première analyse des résultats [des suivis hydroécologiques (paramètres physico-chimiques, microbiologiques et piscicoles)] ne met pas en évidence d’influence notable du fonctionnement des [centrales] concerné[e]s pendant l’été 2022 sur le milieu »[3]. Et d’ajouter : « elle sera complétée en mars 2023, conformément à la demande de l’ASN ».

Sur l’ensemble des centrales concernées, l’ASN confirme que les résultats de la surveillance renforcée de l’environnement n’ont pas montré d’incidence entre l’amont et l’aval du cours d’eau sur les paramètres physico-chimiques.

Paramètres microbiologiques

Pour les paramètres microbiologiques (planctons, bactéries) et piscicoles, la surveillance des sites de Golfech et du Tricastin ne montre aucune incidence entre l’amont et l’aval. Pour la centrale du Bugey, l’ASN indique que « le suivi du phytoplancton […] pendant l’été 2022 a mis en évidence une légère eutrophisation[4] du milieu ». EDF dans son rapport de fin 2022 (p. 49) observait déjà une légère différence de la concentration de chlorophylle a – dont une concentration élevée dénote une eutrophisation du milieu – entre l’amont et l’aval (de 1 à 3 microgrammes/litre) lors d’une seule des campagnes menées, celle du 19 juillet 2022 (cf. tableau ci-dessous).

Peu d’éléments pour conclure à une influence notable du fonctionnement de la centrale donc. D’autant qu’EDF, complétant son analyse, indique dans le « Dossier EDF » (p.59) accompagnant la note technique de l’ASN que l’eutrophisation concerne l’ensemble du tronçon suivi, amont comme aval. Pour la centrale de Saint-Alban, les suivis microbiologiques montrent également « une légère différence entre l’amont et l’aval, qui n’a pas perduré à l’issue de la période estivale ».

Figure 2 : Suivi de la chlorophylle a pendant l’été 2022 au Bugey (source : EDF)

Paramètre piscicole

Enfin, relativement aux suivis piscicoles, l’ASN relève des différences dans la structure des peuplements, limitées à la période estivale pour le Bugey[5], et persistantes lors des observations réalisées à l’automne 2022 pour Saint-Alban. En se fiant à EDF pour les aspects sanitaires, pour lesquels l’ASN ne dit rien sur les centrales du Bugey et de Saint-Alban, les résultats des examens sanitaires montrent que peu de poissons présentent une anomalie et qu’il n’y a aucune différence notable entre les stations amont et aval de ces centrales[6]. Enfin, aucune mortalité piscicole n’a été constatée pendant toute la durée d’application des décisions à l’amont, à l’aval et au niveau des zone des rejets des centrales du Bugey et de Saint-Alban[7].

Globalement, les conclusions de l’ASN suivent celles d’EDF pour qui « les liens directs entre température et réponse biologique ne sont pas aisés à établir étant donnée la nature multifactorielle du contrôle du fonctionnement des communautés biologiques » (p. 65). Le gendarme de l’atome conclue ainsi : « Ces premières observations ne permettent pas à ce stade de distinguer l’impact de la centrale de celui lié à d’autres paramètres écologiques ».

L’ASN rappelle enfin que la réglementation ne suffit pas

L’été 2023, « plus chaud que la normale » d’après les premières tendances de Météo France, pourrait donc ouvrir à de nouvelles « situations exceptionnelles » au sens réglementaire. Mais l’ASN rappelle que les modifications des limites de rejets des centrales « ne peut constituer une réponse à elle seule ». Elle invite ainsi l’exploitant à approfondir ses connaissances scientifiques et à réfléchir aux évolutions technologies de ses installations sur le long terme. Dans une certaine mesure, c’est l’objet du projet ADAPT d’EDF. ■

Par Ilyas Hanine (Sfen)

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[1] La réglementation environnementale ne se limite pas aux enjeux d’échauffement des cours d’eau. Elle adresse également les enjeux d’étiage (faible débit) qui portent un risque pour la continuité écologique des cours d’eau.

[2] EDF, « bilan du fonctionnement des centrales nucléaires du blayais, de Saint-Alban-

Saint-Maurice, de Golfech, du Tricastin et du Bugey pendant la période estivale 2022 », page 32

[3] Ibid. page. 109

[4] Accumulation de nutriment dans un écosystème

[5] Bilan de la campagne de pêche du 10 août au Bugey : à l’amont 126 poissons ont été pêchés avec une majorité de chevesnes (54 individus), de goujons (25 individus) et de barbeaux (21 individus), pour une diversité totale de 11 espèces ; à l’aval 103 poissons ont été pêchés avec une majorité de chevesnes (57 individus) et de barbeaux (24 individus), pour une diversité totale de 9 espèces.

[6] Ibid, pp. 51 et 68.

[7] Ibid, pp. 50 et 67.