Démantèlement : des provisions suffisantes
Un document de travail de la Commission Européenne a été publié récemment. Il compare, pour les différents Etats-membres, des données relatives aux coûts totaux des programmes de démantèlement des installations nucléaires et de gestion de leurs déchets et les actifs déjà disponibles chez les exploitants pour couvrir ces coûts futurs. Le document pointe du doigt la France dont les provisions seraient insuffisantes. Nos exploitants auront-ils les moyens de démanteler leurs installations ? Décryptage.
Le « Programme indicatif du nucléaire »
Le document de travail est issu du « Programme indicatif du nucléaire », dont l’objectif est de faire état des prévisions d’investissement dans le nucléaire au sein de l’Union Européenne. En 2008, un premier exercice avait été mené. Pour l’édition 2016, dont la presse a publié les premières conclusions, Bruxelles a évalué les provisions de chaque Etat pour la gestion des déchets radioactifs et le démantèlement des installations nucléaires.
La situation est contrastée selon les pays. D’après les chiffres dont dispose Bruxelles, le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont les seuls pays de l’Union européenne à disposer de provisions couvrant l’ensemble des dépenses (respectivement 100 % et 94 % des frais provisionnés) tandis que l’Allemagne a pris de l’avance (83 %).
En revanche, la Commission estime que la France serait mal préparée : les actifs dédiés au démantèlement ne couvriraient qu’un tiers des coûts et seraient inférieurs à la moyenne européenne (56 %).
En France, les provisions sont obligatoires et sécurisées
La loi française impose à tous les exploitants d’installations nucléaires (EDF, AREVA, CEA) d’anticiper et de garantir le financement des charges de démantèlement qui surviendront le jour où les installations devront être arrêtées : d’une part, en encadrant la méthode de constitution des provisions et d’autre part en exigeant la constitution d’actifs dédiés suffisamment liquides pour faire face à ces dépenses à venir.
Ce mécanisme permet de garantir que ces charges ne seront pas supportées par les générations futures. En revanche, il ne prévoit pas que l’intégralité des coûts futurs soit provisionnée et couverte dès aujourd’hui, car cela reviendrait à faire payer au consommateur d’électricité d’aujourd’hui des coûts qu’il convient de répartir sur toute la durée d’exploitation des installations.
Le portefeuille d’actifs constitué aujourd’hui croîtra en effet en valeur avec le temps (revenus futurs des actifs existants) lui permettant, lorsque les dépenses devront effectivement être engagées, de couvrir l’intégralité des coûts du démantèlement. Il n’y a donc pas de « trou » dans le financement du démantèlement des installations nucléaires en France.
Le contrôle permanent de la puissance publique
Le système français de contrôle des charges de long terme est un système robuste, faisant l’objet d’un contrôle permanent par l’administration et les organes de gouvernance des entreprises. Les coûts de démantèlement ont été expertisés par la Cour des comptes par deux fois ces quatre dernières années.
En outre, les dépenses futures liées au démantèlement sont revues régulièrement conformément à la loi de 2006. Ces réévaluations prennent en compte les dernières données économiques disponibles, les avancées technologiques et l’évolution de la réglementation.
Comparaison n’est pas raison
La Commission explique ces écarts essentiellement par une différence dans la durée d’exploitation restante des parcs nucléaires. Selon cette logique, lorsqu’un parc nucléaire arrive au terme de son exploitation, son taux de couverture doit se rapprocher de 100 %. « Certains Etats ont implicitement inclus dans leurs provisions l’allongement de la durée d’exploitation de leurs centrales » précise la Commission.
Ce n’est toutefois pas le cas de la France qui raisonne sur une durée d’exploitation de ses réacteurs de 40 ans. La valeur des provisions reflète donc cette vision prudente. Si les réacteurs étaient autorisés à fonctionner plus longtemps, le taux de couverture des provisions par les actifs dédiés serait mécaniquement renforcé. A ce titre, la Cour des comptes estime que l’allongement de la durée d’exploitation aurait un impact « immédiat » sur le bilan d’EDF et « entrainerait une baisse des provisions comptables au bilan de l’ordre de 3,3 Md€ ». A moyen terme, cette décision aurait un impact positif sur le compte de résultat de l’entreprise entrainant une hausse estimée entre « 500 M€ et 700 M€ par an pour les premières années » selon les experts de la rue Cambon.
Compte-tenu des taux d’actualisation – qui prend en compte l’inflation, la hausse de la valeur des actions -, Bruxelles indique qu’ « il n’est pas nécessaire de disposer d’un financement de 100 % ». Il faut donc manier avec précaution les comparaisons entre les pays d’autant que chaque système national dispose de ses propres caractéristiques.
En Allemagne, les provisions constituées aujourd’hui ne sont pas couvertes par un portefeuille d’actifs dédiés, ce qui ne permet pas de se prémunir d’une incapacité future des exploitants à couvrir leurs coûts. Concernant le Royaume-Uni, comme l’indique le récent rapport de l’OCDE/AEN « Costs of Decommissioning Nuclear Power Plants », l’affichage d’une couverture à 100 % provient d’une garantie des charges par le budget de l’Etat, au travers de l’Autorité britannique de démantèlement nucléaire (NDA), organisation intégralement financée par le budget de l’Etat.
La situation européenne est contrastée et les mécanismes de financement diffèrent d’un Etat à un autre. En France, le système de provisions structuré autour d’actifs sécurisés pendant plusieurs décennies permet d’envisager l’avenir avec sérénité tout en préservant la compétitivité de la production électronucléaire actuelle et future.
Crédit photo – EDF