Fusion de la sûreté et de la sécurité nucléaire : quels enjeux ?
Différentes actualités ont soulevé la question de l’opportunité d’un regroupement de la sûreté et de la sécurité nucléaire au sein d’un même organisme. Contrairement à la plupart des pays, la France, comme la Finlande, distingue gestion de la « sûreté » de celle de la « sécurité ». Décryptage des enjeux.
Les différences entre « sûreté » et « sécurité »
La sûreté désigne l’ensemble des moyens et dispositions mis en œuvre par l’exploitant pour prévenir les accidents et, s’il s’en produisait, en maitriser et en limiter les conséquences. La défense en profondeur est un principe majeur de la sûreté ; elle repose sur un ensemble de moyens techniques et organisationnels destinés à pallier l’hypothétique défaillance des lignes de défense principales et à être en mesure de faire face à des événements qu’on ne peut a priori pas prévoir).
La sécurité, elle, concerne les actions malveillantes. Elle repose sur de nombreux moyens dont l’essentiel est placé directement sous l’autorité de l’Etat : renseignement, défense aérienne, moyens d’interceptions hors site.
Cette distinction entraine des différences.
La sûreté exige le plus haut niveau de transparence (cf. loi TSN) alors que la confidentialité conditionne l’efficacité de la sécurité.
La gouvernance est aussi différente. La sûreté est du ressort de l’ASN, une autorité administrative indépendante, à la fois des industriels, des politiques et des associations environnementales, tandis que la sécurité est directement sous le commandement de l’Etat, car elle implique au premier rang des moyens qui dépendent de la Défense et du ministère de l’intérieur.
Par ailleurs, contrairement à une idée reçue, la sécurité n’est pas le « parent pauvre » du système. Comme pour la sûreté, la sécurité des centrales s’appuie sur :
- Des moyens humains : ainsi, plus de 1000 gendarmes, spécialisés dans le contre-terrorisme, sont alloués à la sécurité des centrales nucléaires sites. Sur les sites du CEA, quelque 900 personnels des formations locales de sécurité sont armés et présents en permanence sur nos sites, avec des consignes d’appel à la force publique, en particulier le RAID.
- De l’organisation : pour progresser, comme en sûreté, chaque installation procède à des exercices et entraînements réguliers avec les forces de gendarmerie locales.
- De contrôle : chaque évènement en matière de sécurité, doit comme pour la sûreté, être déclaré auprès du Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité (HFDS) et faire l’objet d’un retour d’expérience. Enfin des inspections sont régulièrement menées par le HFDS et ses équipes, et ces inspections font l’objet de lettres de suite, équivalentes aux lettres de suite de l’ASN dans le domaine de la sûreté.
L’ASN dispose d’importants pouvoirs en matière de sûreté
L’ASN dispose de moyens très importants, tant au niveau central qu’en région, tant en propre que via l’IRSN, son appui technique.
Son poids et son autorité sont considérables vis-à-vis des exploitants. Ils tiennent non seulement aux prérogatives que la loi lui confère, mais aussi à l’autorité technique et opérationnelle qu’elle a progressivement bâtie, depuis plusieurs décennies, dans l’exercice quotidien de sa « magistrature technique ».
Les contrôles, analyses et exigences de l’IRSN et de l’ASN sont particulièrement complets, approfondis et rigoureux. De l’avis général, l’ASN fait partie des autorités de sûreté les plus méticuleuses et exigeantes au plan international. La voix de l’ASN porte à l’international.
L’ASN possède des pouvoirs très importants, au premier rang desquels le droit de s’opposer au démarrage d’une installation (par exemple le redémarrage d’un réacteur après un arrêt pour rechargement) ou de les arrêter en cours de fonctionnement.
Du point de vue de la sûreté, un des enjeux semble d’ailleurs non pas tant d’accroître encore la pression de l’ASN que de maintenir pleinement vivant le principe fondamental de responsabilité première de l’exploitant.
La loi relative à la transition énergétique a complété les pouvoirs de l’ASN, par une possibilité d’astreinte financière dans le cas où des prescriptions de l’ASN ne seraient pas appliquées dans un délai convenable après mise en demeure.
… ainsi que de prérogatives en matière de sécurité
Depuis 2012 et la publication de deux arrêtés fixant les règles générales relatives aux INB, l’ASN dispose de certaines prérogatives en matière de sécurité :
Article 3.5 : « Les agressions internes à prendre en considération dans la démonstration de sûreté nucléaire comprennent » ainsi « les actes de malveillance, toute autre agression interne que l’exploitant identifie ou, le cas échéant, que l’Autorité de sûreté nucléaire juge nécessaire de prendre en compte, ainsi que les cumuls plausibles entre les agressions ci-dessus ».
Article 3.6 : « Les agressions externes à prendre en considération dans la démonstration de sûreté nucléaire comprennent : « les actes de malveillance, toute autre agression externe que l’exploitant identifie ou, le cas échéant, que l’Autorité de sûreté nucléaire juge nécessaire de prendre en compte, les cumuls plausibles entre les agressions ci-dessus ».
Les questions soulevées par un regroupement de la sûreté et de la sécurité au sein d’une même entité
Finalement, le rapprochement au sein d’une même entité de la sûreté et de la sécurité soulève des questions (compte tenu du fait que le système actuel semble fonctionner) :
Comment maintenir des compétences de pointe sur les deux sujets ?
Comment organiser des arbitrages permanents sur ce qui est confidentiel et ce qui ne l’est pas ?
Comment conserver l’ADN de l’ASN, fondé sur la transparence ?