« Pour le mix énergétique à long terme, j’ai la conviction qu’il faut être prudent », Dominique Minière
Pour vous, la SFEN Jeune Génération a interviewé une très grande personnalité du nucléaire : D. Minière, Directeur Délégué de la DPI d’EDF et Président de la SFEN. Avec un parcours exceptionnel, qui lui permet d’avoir une vision d’ensemble de notre industrie, il dresse un portrait encourageant mais riche en défis sur le secteur de l’énergie, de l’électricité et du nucléaire en France, aujourd’hui et demain. Une interview énergique réalisée par Alban Bergeras et Sophie Missirian. Petite cerise sur le gâteau, M. Minière nous fera l’honneur d’ouvrir en personne notre grand événement international : Atoms for the Future ! Renseignements et inscriptions ci-dessous.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel ?
D. Minière : Ingénieur civil des Mines, ayant d’ailleurs fait mon stage de fin d’études à la R&D sur le solaire, je suis entré en 1982 au Service de la Production Thermique d’EDF, comme ingénieur analyste de défauts matériels. Après quelques années à ce poste, je suis devenu ingénieur liaison pour les essais à la centrale de Golfech. J’y ai suivi le début des installations jusqu’aux essais de démarrage. Ce fut une formidable expérience humaine et un apprentissage sans égal des différents systèmes d’une centrale. Je suis ensuite passé à la Production comme Chef de Service, responsable d’opérations telles que le chargement/déchargement, la planification, les travaux de maintenance, les pièces de rechange…
Cela m’a amené jusqu’en Chine où la centrale de Daya Bay faisait face à de gros enjeux de maintenance. Après 4 ans de cette expatriation dans un pays en pleine expansion, je suis devenu en 1997 responsable de la production à la centrale de Cattenom puis responsable du site.
En 2002, mon poste de directeur délégué de la Division Production Nucléaire m’a fait aborder sous un angle à la fois global et détaillé des sujets comme la sûreté, la radioprotection… Je suis devenu directeur de la DPN et du parc nucléaire de 2010 à 2013.
Je suis aujourd’hui Directeur Délégué de la DPI (Direction Production Ingénierie).
Pouvez-vous nous expliquer votre rôle et votre mission ?
DM : La Direction Production Ingénierie (DPI) regroupe les activités de la production nucléaire (près de la moitié des effectifs de la DPI), de l’hydraulique, du thermique (gaz, charbon, fioul), du combustible et l’ingénierie nucléaire. J’ai un rôle de coordination entre ces différentes divisions sur certains aspects. J’ai aussi pour mission de porter la parole de la DPI.
Quelles sont selon vous les défis à court et moyen terme de la DPI ?
DM : Dans le domaine du nucléaire, nous devons asseoir notre maîtrise industrielle d’ici 2015 en investissant tant en hommes qu’en matériels. Nous avons besoin d’une approche plus globale entre exploitation et ingénierie.
Nous devons également nous préparer au « Grand Carénage » des tranches en exploitation : vaste programme sur le parc en exploitation, dont le pic interviendra entre 2015 et 2025, où il faudra rénover ou remplacer des matériels, intégrer les mesures post-Fukushima, démontrer à l’Autorité de Sûreté Nucléaire l’allongement de durée de vie en toute sûreté des éléments non remplaçables comme la cuve et l’enceinte, afin d’améliorer encore le niveau de sûreté du parc existant en s’inspirant des objectifs de sureté des réacteurs les plus avancés de la Génération III ; ces actions nécessitent un investissement important et ne prennent de sens que si cela permet l’allongement de la durée de vie des centrales a minima à 50 ans.
Les enjeux du grand carénage sont à la fois techniques, financiers, industriels, organisationnels et humains.
Dans les constructions (Flamanville 3, Taishan 1&2) et comme pour les projets en développement (Pologne, Hinkley Point…), l’enjeu principal est d’assurer la maîtrise industrielle.
Côté combustible, le développement mondial du nucléaire pose la question de la sécurisation de l’approvisionnement en uranium à long terme.
Dans le domaine hydraulique, nous avons deux gros projets en cours en France : Super Hydro dont le but est de retrouver et de maintenir un excellent état des barrages existants et RenouvEau qui va renforcer la performance des installations.
Dans le domaine thermique, il s’agira là aussi, en France de maintenir et de rénover le parc thermique que nous garderons, tout en veillant à engager des projets à l’international qui nous permettent de disposer des compétences sur l’ensemble des techniques de production.
En effet, pour le mix énergétique à long terme, typiquement dans 40 ans, j’ai la conviction qu’il faut être prudent. Dans les années 70, avant le lancement du grand programme nucléaire français, chacun aurait sans doute parié sur le développement des centrales à fuel car les problématiques d’indépendance énergétique, de prix du fuel et de CO2 ne se posaient pas à l’époque. Quarante ans plus tard, le mix énergétique français est tout autre. Je crois qu’il est donc bon d’acquérir des compétences dans tous les domaines car on ne sait pas de quoi l’avenir de long terme sera fait, ce qui nécessite de développer des compétences sur l’ensemble des techniques sur les métiers de la filière énergétique.
Comment EDF et ses partenaires pensent-ils résoudre le problème de renouvellement de compétences qui se profile dans les années à venir ?
DM : Le renouvellement des compétences passe par l’anticipation des embauches (à la DPN, près de la moitié des effectifs sera remplacé sur la période 2008-2015), la formation (formation de base, simulateur…), l’académie des métiers (pour acquérir la « Nucléaire attitude ») ainsi qu’un programme de compétences qui vise à détecter et à travailler sur les axes d’amélioration des collaborateurs.
Afin de préparer le grand carénage, ce sont 50 000 postes qui vont être pourvus parmi lesquelles 20 000 sont des créations d’emplois.
Au sein de la DPI, nous avons recruté près de 3 000 personnes en 2012 dont environ 2 000 dans le nucléaire avec près de 500 nouvelles embauches en ingénierie. En 2013, plus de 3 000 recrutements sont prévus pour un effectif global de la DPI d’environ 40 000 collaborateurs. Et ce pic d’embauche se poursuivra en 2014, une stabilisation à l’horizon 2016 se profilant avec la fin du pic de départs en inactivité.
Nous mettons également l’accent sur les stages – près de 500 sont proposés chaque année – et pour 20% d’entre eux, un poste est proposé à l’issue de cette expérience. EDF propose aussi l’alternance, les bourses d’excellence et des partenariats avec les écoles via les anciens élèves.
Nous entretenons bien sûr un partenariat avec l’association WIN (Women in Nuclear) avec l’objectif d’atteindre 30% d’embauches féminines cadres, ce qui correspond à la proportion maximale que l’on rencontre en école d’ingénieurs. Les efforts à faire ne sont pas les mêmes en fonction des postes : il y a plus de candidates pour des postes d’ingénierie basés à Paris, Marseille ou Tours que pour des postes dans les centrales nucléaires, plus isolées. En 2012, cet objectif a malgré tout été atteint sur les métiers cadres de production nucléaire et dans le thermique, et en ce début d’année 2013, ce sont même 65% des embauchés qui sont des femmes !
En ce qui concerne l’égalité des chances et la responsabilité sociale, nous avons également des engagements sur l’embauche des personnes handicapées pour lesquelles une vraie impulsion managériale est nécessaire même si ces objectifs ne sont pas simples notamment sur les postes en exploitation. Notre objectif d’atteindre 3% des embauches a été rempli en 2012.
EDF est aujourd’hui une entreprise attractive qui donne l’opportunité à ceux qui nous rejoignent d’avoir un parcours professionnel varié, depuis l’ingénierie jusqu’à l’exploitation, et de lui donner une dimension internationale.
L’expérience ne se transmet pas, elle s’acquiert ! Et il faut faire en sorte qu’elle s’acquiert au plus vite avant les départs en retraites d’un grand nombre de collaborateurs. Malgré l’augmentation de la masse salariale, le nombre de collaborateurs expérimentés (plus de 5 ans d’expérience) diminuera jusqu’en 2014-2015, pour se stabiliser pendant deux ans, car en 2017 la tendance s’inversera avec une proportion de collaborateurs expérimentés majoritaire qui repartira à la hausse. En 2012, c’était 25% des employés de la DPN qui avaient moins de 5 ans d’expérience.
Quel est le rôle d’EDF selon vous dans le débat sur la transition énergétique pour accompagner les futurs changements ? Quel pourra être à votre avis l’impact de ce débat sur le nucléaire en France ?
DM : EDF fait bien sûr entendre sa voix via notamment le MEDEF dont c’est le rôle. Il y a pour moi 3 grands thèmes dans ce débat qui sont les véritables sujets :
Tout d’abord, au-delà de la question de l’électricité, c’est globalement la consommation d’énergie qui doit devenir plus intelligente et mieux orientée. À cet égard, il est indispensable de mieux isoler les logements qui en ont besoin, mais ces travaux ont un coût non négligeable. C’est un vrai sujet de justice sociale qu’il n’est pas trivial de résoudre.
En parallèle, il faut définir ce que l’on veut encourager en matière de consommation d’énergie. Pour la DPI, l’électricité, en tant qu’énergie largement décarbonée, doit plus prendre une plus grande place à l’avenir notamment dans les transports. Son utilisation aujourd’hui pour les trains et les trams va dans ce sens. L’électricité doit se développer dans un maximum d’usages.
Enfin, pour garantir que l’électricité soit effectivement décarbonée, il faut savoir comment la produire : les renouvelables ont indéniablement un rôle à jouer et elles doivent être déployées là où c’est pertinent de le faire. EDF est un acteur majeur dans les énergies renouvelables au travers de l’hydraulique et d’EDF Énergie Nouvelles pour le solaire et l’éolien notamment. Compte tenu des moyens de stockage existants, la production solaire individuelle doit s’accorder à la consommation du foyer. En Europe, notre pic de consommation est plutôt le soir en hiver, ce qui n’est pas le moment où le soleil brille le plus, contrairement à la Californie où les moments les plus ensoleillés coïncident avec le fonctionnement des climatiseurs. L’enjeu est finalement dans le développement d’une véritable filière industrielle du stockage de l’énergie vis-à-vis de ces énergies intermittentes que sont le solaire et l’éolien pour permettre le stockage de cette énergie au moment de la production et la distribuer au moment adéquat lors des pics de consommation, et ainsi équilibrer la consommation et la production.
Le développement du nucléaire en France a permis d’obtenir un prix de l’électricité très compétitif. De ce fait, la part due aux coûts de production ne représente actuellement qu’un tiers du prix facturé au consommateur (le reste correspond aux coûts de transport, de distribution ainsi que des taxes pour le financement de l’équité territoriale de l’électricité et les énergies renouvelables). Finalement le régulateur prend en compte un coût de production nucléaire d’environ 38€/MWh pour l’établissement du tarif pour les particulier. Lorsque nous ajoutons les autres couts listés ci-dessus nous arrivons à un tarif global pour les particuliers autour de 140€/Mwh. En Allemagne, le prix de vente du Mwh tourne autour de 280€ du fait de subventions aux renouvelables beaucoup plus importantes. La part production en France devra augmenter progressivement afin de couvrir l’ensemble des frais de production pour atteindre 54€/Mwh. Mais le prix de l’électricité est resté relativement stable cette dernière décennie.
Les 75% de l’électricité produite d’origine nucléaire n’est pas un objectif en soit pour la DPI. Nous sommes guidés par le maintien d’un mix électrique décarboné, peu cher et avec un prix stable. C’est une question à la fois éthique, sociale et environnementale. Nous ne sommes pas dans des guerres de religions mais plutôt dans la recherche de ce qui est bon pour nos clients et la société française. L’électricité est devenue un besoin comme l’air ou l’eau dont les gens ne peuvent plus se passer. C’est le sens du service public qui doit nous guider.
Quant à Fessenheim, l’annonce politique d’une décision a été faite et bien évidemment nous appliquerons le contenu éventuel d’une loi en la matière, tout en veillant à ce que l’intérêt de nos salariés, prestataires et actionnaires soit pris en compte. Aujourd’hui, notre principale préoccupation à la DPI est de maintenir la centrale dans le bon état de sûreté où elle est actuellement, identique à celui de l’ensemble du parc. C’est un objectif que nous atteindrons, notamment du fait de la réalisation des travaux programmés.
Pour moi, la priorité dans un pays si touché par le chômage est le développement industriel. Les filières d’excellence françaises reconnues à l’international sont à conserver et à développer. Et il est de notre responsabilité de l’exprimer.
En tant que Président de la SFEN quelles orientations ou impulsions souhaitez-vous donner à cette association ?
DM : Mes actions au sein de la SFEN se feront dans la continuité de celles menées par Luc Oursel (Président de la SFEN de 2011 à 2013). La SFEN est d’abord une société savante reconnue. Sa vocation est double : la SFEN a pour objectif de favoriser l’avancement des sciences et techniques du domaine nucléaire et également de favoriser l’information du public et la transparence. Elle doit à l’avenir augmenter sa visibilité, sa notoriété et son ouverture. La SFEN n’est pas un lobby : nous avons un rôle à jouer dans les débats sur l’électricité et l’énergie et nous devons donner la parole à tous.
Il est également primordial que la SFEN Jeune Génération s’exprime car l’avenir du nucléaire est entre vos mains. Parler de vos métiers, votre vision, vos expériences permet de porter une image du nucléaire jeune au-delà d’une vision parfois caricaturale d’une énergie du passé. Il est important de mettre un visage sur des métiers comme on peut le faire lors des journées de l’Energie.
Avez-vous un message pour la jeune génération, étudiants et jeunes professionnels qui veulent travailler dans l’industrie nucléaire ?
DM : Rejoignez-nous ! L’électricité d’origine nucléaire est un outil essentiel pour la production d’une électricité stable, décarbonée, peu chère dans un monde où près d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité pour avoir de la lumière, de l’eau potable…. Le nucléaire offre en outre une vraie palette de métiers via lesquelles vous créerez de la richesse dans une des filières d’excellence industrielle française !