Transition du système électrique : quel rôle pour le nucléaire d’ici 2035 ? - Sfen

Transition du système électrique : quel rôle pour le nucléaire d’ici 2035 ?

Publié le 19 octobre 2023 - Mis à jour le 2 novembre 2023

RTE explore les leviers disponibles pour atteindre les objectifs français de décarbonation et de réindustrialisation. Parmi eux et pour toutes les trajectoires étudiées, le nucléaire  détient un rôle pivot pour l’approvisionnement en énergie et les besoins de puissance pour passer les pointes de consommation.

Dans la suite de son important travail prospectif « Futurs énergétiques 2050 », RTE a publié le 20 septembre 2023 un nouveau bilan prévisionnel à plus court terme sur la transformation du système électrique d’ici à 2035. Cet horizon intègre deux jalons majeurs en matière de politique énergétique et climatique : d’abord la réduction de 55 % des émissions nettes dans le cadre du plan européen « Fit for 55 » ; ensuite, un plan de réindustrialisation pour la France. RTE explore trois familles de scénarios offrant des éclairages sur les trajectoires d’atteinte des objectifs climatiques et de sécurité d’approvisionnement du système électrique français : la famille de scénarios de référence (A – « Accélération réussie ») décrit un univers macroéconomique favorable (financement disponible, réindustrialisation réussie, etc.) où l’ensemble des leviers actionnables  pour la transition est réuni ; la famille de scénarios où la France accuse un retard plus ou moins marqué sur une combinaison de ces leviers (B – « Atteinte partielle ») ; la famille de scénarios où le contexte macroéconomique est dégradé (C – « Mondialisation contrariée »).

Hausse de la consommation

Le rapport « Futurs énergétiques 2050 », publié en 2022, avait déjà contribué à la compréhension large des déterminants de l’évolution de la consommation d’électricité en  France. C’est maintenant un consensus appuyé par de nombreux résultats techniques et économiques : l’atteinte des objectifs climatiques passera par une hausse de la consommation électrique entraînée par l’électrification des usages (chauffage, transport) et la relocalisation d’industries à décarboner (via l’hydrogène électrolytique ou l’électrification des process). C’est une nécessité pour atteindre la baisse souhaitée des énergies fossiles, lesquelles plombent la balance commerciale de la France. De tels objectifs « conduisent à positionner les trajectoires de consommation d’électricité à l’horizon 2035 parmi les plus hautes des Futurs énergétiques 2050 », expliquent les auteurs du rapport.

Quatre leviers sont nécessaires pour répondre à cette hausse de la consommation électrique. Côté demande : efficacité et sobriété. Côté offre : renouvelables et nucléaire. « Il n’existe pas de doute sur le fait que le mix électrique français sera durablement composé de réacteurs nucléaires et d’installations renouvelables » explique encore le rapport, précisant du reste qu’un espace de  discussion politique reste ouvert quoique contraint par les fondamentaux techniques.

Le nucléaire incontournable

Pour établir ses hypothèses sur la production nucléaire, RTE a repris les orientations du gouvernement. Pour le nucléaire existant, la poursuite de l’exploitation au-delà de 50 ans sous réserve de sûreté, et l’engagement des études pour sa poursuite au-delà de 60 ans. Il s’agit donc de revenir sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en cours qui vise la fermeture de douze réacteurs nucléaires et un plafonnement de la puissance du parc.

En termes de productible, RTE, en cohérence avec la contribution d’EDF dans le cadre de la concertation pour la loi LPEC, table sur une hypothèse prudente sur le fonctionnement du parc « post-corrosions sous contrainte ». Au total, RTE retient un volume moyen de l’ordre de 350 TWh pour le parc existant, auxquels s’ajoutent 10 TWh de l’EPR de Flamanville qui sera mis en service en 2024, avec une progressive montée en puissance.

Sont également étudiées une variante basse (330 TWh) et une variante haute (400 TWh). Cette dernière variante tient compte des effets positifs potentiels d’un programme
d’augmentation de puissance des réacteurs existants et des bénéfices additionnels du programme Start 2025 sur la performance opérationnelle. C’est ainsi que le patron d’EDF Luc Rémont, auditionné à l’Assemblée nationale le 19 juillet 2023, présentait ce chantier : « Nous allons bâtir un plan d’investissement pour nous ramener le plus proche possible de 400 TWh, ce qui prendra quelques années de plus. C’est un plan ambitieux (…) car viser 400 TWh sur un parc qui aura 20 ans de plus est un défi industriel colossal ».

« Ambitieux », « colossal », il s’agit là d’épithètes à la hauteur des enjeux de transition et du formidable chantier dans lequel s’engage la filière, d’autant que « maximiser la production annuelle du parc nucléaire existant » est, assure RTE, « un élément incontournable pour réussir la décarbonation au cours de la prochaine décennie ». Ainsi, deux temporalités co-existent pour la filière, celle du moyen/court terme, avec la performance du parc existant et la mise en service de Flamanville, et celle post-2035 avec la mise en service des premiers EPR 2.

Sortir du charbon

Selon RTE, on s’attend à ce que la sécurité d’approvisionnement se renforce à court terme, car « le système électrique français a désormais franchi la période la plus délicate ». Dans ce contexte, la fermeture des deux dernières centrales à charbon est rendue possible « dans un cadre strict » :
↦ la fermeture de la centrale de Saint-Avold (charbon) dépendra d’une disponibilité élevée du parc nucléaire en hiver (pour passer la pointe) à hauteur de 55 GW minimum ;
↦ compte tenu des contraintes du réseau de la Bretagne, tant que l’EPR de Flamanville n’a pas atteint son fonctionnement optimal, le maintien de la centrale de Cordemais (charbon) est nécessaire. Outre la fermeture de Saint-Avold, une disponibilité élevée du parc nucléaire en hiver permettrait de se passer de la construction de nouvelles centrales au gaz dont la conversion (à l’hydrogène ou la biomasse par exemple) ne serait pas immédiate. Ainsi, dans un contexte où la question de la pointe de  consommation deviendra cruciale, la sortie des fossiles – charbon et gaz – est conditionnée à la bonne performance du parc existant.

La modulation du parc nucléaire

Aujourd’hui la modulation du parc nucléaire offre des solutions pour l’équilibrage en temps réel et l’optimisation économique de gestion du combustible suivant les prix de marché. De façon bien plus marginale, la modulation répond aussi à un défaut de débouchés économiques, lorsque les prix sont faibles ou négatifs. Au total, cette modulation représente un volume de 30 TWh annuel. Malgré la montée en puissance des renouvelables entraînant une chute structurelle des prix sur les marchés, la modulation totale n’augmentera pas nécessairement selon RTE. En effet si la part liée aux manques de débouchés économiques sera « beaucoup plus conséquente », elles se substitueront à d’autres périodes de nécessaire gestion du combustible.


REVUE GÉNÉRALE NUCLÉAIRE #3 | AUTOMNE 2023

Par Ilyas Hanine, Sfen

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