Vers une première reconnaissance du rôle du nucléaire pour la production d’hydrogène en Europe
Après un long combat, la Commission européenne donne enfin toute sa place au nucléaire pour produire de l’hydrogène bas carbone. Un signe très positif alors que Bruxelles ne voulait considérer que l’usage des renouvelables pour produire de l’hydrogène propre.
L’hydrogène est l’objet de toutes les attentions à Bruxelles et d’intenses négociations institutionnelles depuis de longs mois. Commission, États, eurodéputés débattent et s’écharpent au sujet du meilleur modèle possible qu’ils souhaitent encourager pour produire voire importer de l’hydrogène – surtout renouvelable – destiné à décarboner des secteurs difficiles à électrifier, comme l’industrie et les transports lourds.
Ces derniers jours, des évolutions clefs dans les débats sur la réglementation en cours d’élaboration ouvrent enfin la voie à une meilleure reconnaissance du rôle du nucléaire pour décarboner la production d’hydrogène.
Les très attendues règles encadrant la production d’hydrogène renouvelable ont tout d’abord été adoptées par la Commission européenne le 13 février, après trois ans d’intenses négociations. Le principe est simple, les détails techniques le sont moins : pour produire de l’hydrogène renouvelable par électrolyse, l’électricité alimentant un électrolyseur – soit par une connexion physique, soit virtuelle (Power Purchase Agreements – contrats d’achats) – doit être fournie par de nouvelles capacités hydroélectriques, solaires ou éoliennes opérant dans une même aire géographique, et de manière synchrone. Cette corrélation temporelle sera d’abord mensuelle dans une phase transitoire jusqu’à 2030, avant de passer au pas horaire.
Ces conditions sont autant de garde-fous prévus pour se prémunir d’une cannibalisation des ressources renouvelables et d’une production d’hydrogène électro-intensive qui, autrement, augmenterait la production à partir de combustibles fossiles. Le bilan carbone de l’hydrogène ainsi produit serait en effet bien plus désastreux que celui issu du gaz naturel auquel il devrait se substituer : de près de 20 kgCO2e/kgH2 pour l’hydrogène produit avec la moyenne du mix électrique européen, contre 11 kgCO2e/kgH2 pour l’hydrogène produit par vaporeformage du gaz naturel !
Dérogation pour la France
La France a cependant obtenu ici une dérogation qui a son importance. Pour mettre à profit son mix électrique combinant renouvelables et nucléaire, elle est autorisée à déroger à l’exigence de capacités additionnelles d’énergies renouvelables dès lors que celui-ci se situe sous un seuil de 64,8 gCO2e/kWh. Autrement dit, la Commission européenne reconnait que la France a déjà largement contribué à la décarbonation de son mix électrique et peut utiliser ses électrons pour une production domestique d’hydrogène par électrolyse, notamment via des PPA avec des parcs renouvelables existants.
Quelques jours plus tôt, le Parlement européen a également voté une autre mesure phare. Avec l’adoption de la directive sur les marchés de l’hydrogène et du gaz, les eurodéputés ont retenu une définition de l’hydrogène bas carbone qui accorde sa place à l’électricité d’origine nucléaire. Son contenu carbone devra se situer en dessous d’un seuil de gaz à effet de serre de 3,38 kgCO2e/kgH2, soit une réduction d’au moins 70 % par rapport à l’hydrogène gris. Aligné avec celui pour l’hydrogène renouvelable, ce seuil rend éligible la production d’électrolyseurs raccordés directement au réseau électrique français, évaluée à 2,77 kgCO2e/kgH2 en moyenne selon l’Ademe.
Renouvelable et bas carbone
Il reste encore du chemin à parcourir avant de rationaliser complètement ce cadre réglementaire et rendre cohérentes les diverses mesures de soutien à l’hydrogène renouvelable et l’hydrogène bas carbone. Ces définitions harmonisées sont un premier pas important. Il faut maintenant aller plus loin, et c’est tout l’enjeu des négociations européennes en cours, pour que seul le caractère décarboné de la production d’hydrogène soit pris en compte comme aux États-Unis avec l’Inflation Reduction Act. Il reste, pour cela, encore à obtenir l’ouverture des quotas obligatoires de consommation d’hydrogène dans l’industrie et les transports, pour le moment réservés à l’hydrogène renouvelable, à l’hydrogène bas carbone. Ces points durs font notamment l’objet de négociations entre États autour de la directive sur les énergies renouvelables (RED III) et de la directive sur l’hydrogène et le gaz. La patience est une vertu.
Par ailleurs, harmoniser les cadres européens d’aides d’État, aligner les régimes fiscaux envisagés, ou assurer la neutralité technologique de la future European Hydrogen Bank constituent d’autres chantiers devant nous pour établir une égalité de traitement entre hydrogène renouvelable et hydrogène bas carbone.
Autant de demandes contre lesquelles se dressent certains États, Allemagne et Espagne en tête, qui ont pourtant impérativement besoin de la coopération française s’ils comptent acheminer par pipelines, comme ils l’espèrent, l’hydrogène renouvelable d’Afrique du Nord et de la péninsule ibérique jusqu’outre-Rhin.
Faire tourner les électrolyseurs
Dans son plan RePower EU de sortie des hydrocarbures russes l’année dernière, la Commission européenne avait déjà admis que le nucléaire puisse jouer un rôle pour la production d’hydrogène par électrolyse. En complément des renouvelables, il est en particulier intéressant pour faire fonctionner les électrolyseurs un très grand nombre d’heures dans l’année, et satisfaire une demande constante et continue d’hydrogène dans l’industrie, en substitution d’énergies fossiles (hydrogène issu du gaz naturel dans les raffineries, les engrais, la chimie, coke dans la sidérurgie).
Face aux besoins colossaux d’électrons, plus de 500 TWh pour atteindre le très ambitieux objectif de 10 millions de tonnes d’hydrogène à produire sur le sol européen, l’Europe aura intérêt à valoriser toutes les ressources renouvelables et bas carbone à sa disposition. Avec son mix électrique combinant renouvelables et nucléaire, la France dispose ici d’atouts qu’il n’appartient qu’à ses partenaires de ne pas brider, au risque sinon de fragiliser l’effort collectif que l’Europe doit fournir dans cette compétition mondiale livrée face aux États-Unis et à la Chine. ■